O sensei nous a transmis un aïkido riche de sa complexité, débarrassé des illusions de la facilité et conscient d’être si solidement ancré dans des principes immuables qu’il ouvre sur une infinité de mouvements. Comme les notes de la gamme ou les couleurs primaires génèrent une quantité incommensurable d’œuvres. Les générations suivantes, trouvant, sans doute avec raison, que le génie était difficile à acquérir et à enseigner, ont privilégié une découpe rationnelle de l’énergie, en nommant avec précision chaque technique, en les dénombrant, en séparant Ura et Omote, en ramenant les grands principes à des gestes formatés, organisés dans un catalogue qu’il conviendrait d’apprendre par cœur.
En faisant cela, les héritiers du fondateurs ont facilité l’accès au plus grand nombre, ce qui est sans doute une bonne chose, mais ont pu amener le pratiquant dans la confusion qu’il suffit de savoir suivre une recette de cuisine pour faire de chacun de nous un cuisinier. Il n’est pas rare de rencontrer des pratiquants connaissant sur le bout des doigts le catalogue des techniques mais appliquant un aïkido comme on lit une partition, avec une certaine rigueur certes, mais peu ouverts aux mille subtilités personnelles que tout aïkidoka se doit de développer. Lorsqu’il s’agit d’éduquer les enfants, on dit que le véritable travail commence le jour où on décide de fermer les livres savants et qu’on décide d’écouter son enfant, son cœur, la nature de l’énergie relationnelle. Qu’en est-il de l’aïkido? La véritable pratique ne commencerait-elle pas le jour où l’on décide de mettre de côté le catalogue, et de développer son propre aïkido, toujours immergé dans les principes immuables mais riche de notre génie personnel.