Morihei Ueshiba est né en 1883 et mort en 1969. Il n’a donc pas connu l’époque du numérique, de la pellicule bon marché, du logiciel de montage que l’on télécharge sur son ordinateur. Durant sa vie, le fondateur de l’aïkido a connu la démocratisation de la photo, mais pas celle de la vidéo généralisée telle que nous la connaissons aujourd’hui. La grande majorité des films que nous avons de lui ont été faits à l’occasion de démonstrations engageant l’installation d’un dispositif technique assez lourd et passablement couteux.
Si donc ces moments filmés étaient des événements exceptionnels, nous pouvons imaginer que le fondateur avait à cœur de montrer, de démontrer, de faire valoir toute la force et l’amplitude de l’aïkido. Il n’aurait sans doute pas été bienvenu dans les circonstances de présenter publiquement un aïkido de l’économie de mouvement, de la subtilité invisible, du geste minimaliste. Il fallait faire connaître l’aïkido et en présenter une démonstration compréhensible par tous ceux qui découvraient cet art martial. Il n’est pas interdit de penser que le fondateur pouvait même volontairement « surjouer » son aïkido à l’écran. Ce n’est pas une certitude mais avouons que tout porterait à le croire.
Cette hypothèse m’amène à une interrogation : Se pourrait-il que cet aïkido « de démonstration publique » soit passé pour beaucoup comme la forme la plus aboutie de l’aïkido, l’objectif à atteindre? Est-il possible que de génération en génération il se soit créé une surenchère de gestuelle déployée, dépliée, du mouvement le plus visible possible, un aïkido de la démonstration maximaliste, où tout se verrait immédiatement? Cet aïkido flamboyant d’hakamas volants, aux pas lourds et comptés, aux torsions mesurées en décimètres, aux chutes spectaculaires, cet aïkido de vitrine donc serait-il devenu la norme, mieux l’idéal? On pourrait ajouter que cette forme d’aïkido peut également apparaître comme plus pédagogique, plus facile à visualiser et à reproduire. Le souci de clarté éducative rejoint en cela la volonté de démonstration publique. Ainsi l’aïkido devint toujours plus extraverti.
Inspiré par Tamura Sensei, je poursuis à ma façon, sur mon petit chemin, un aïkido que je souhaite toujours plus subtil, dont l’efficacité se compte en millimètres et non en mètres. Comme un artisan je recherche en permanence à raffiner, diminuer mes mouvements, pour aller vers le plus simple et le plus juste. Toujours le Misogi, le nettoyage de ce qu’il y a de trop, l’efficacité maximale en un minimum de gestes. Ce faisant j’ai le sentiment d’aller à contre-courant de beaucoup, peut-être de la plupart. Avec les années j’ai obtenu un aïkido qui se voit peu, dont la plupart des finesses sont invisibles au néophyte, difficile à percevoir pour le pratiquant. Sans aucune prétention, je cherche toujours à faire moins. Mon école s’appelle Ko Michi, le petit chemin. L’aïkido d’autoroute que l’on parcourt à gros sabots de déplacements donnant des techniques s’étalant sur plusieurs mètres en déployant de grands moulinets de bras ne me fait pas rêver. Mais peut-être que les aïkidokas ne voient pas les choses comme ça. Peut-être que l’aïkido de démonstration est nécessaire pour attirer les nouveaux pratiquants et je ne renie pas son existence mais doit-il envahir nos dojos et parasiter notre recherche de la simplicité? Mais qui se soucie encore de la simplicité?